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DE L’IMAGINATION

J’ai eu tout jeune la faculté d’observer ; et, quant à l’imagination, jai connu, pendant mon enfance, toutes les terreurs des corsaires, des explorateurs, des abandonnés. Eh bien, chaque jour j’ai une surprise, je fais une remarque nouvelle. Je reconnais surtout que je m’étais trompé. Se rendre compte de son erreur et l’avouer, c’est le commencement de cette science qui n’a pas encore de nom, et qui me paraît néanmoins la plus haute et la plus importante de toutes, puisqu’elle consiste à tirer de l’existence tous les renseignements que cette existence comporte, qu’elle enferme la morale, la psychologie, la physiologie, qu’elle ne détruit point la pilié et qu’elle n’exalte point l’orgueil, qu’elle n’a ni chaire, ni pédants, ni instituts et qu’elle porte en soi sa récompense.

Moi. — Cette science, où l’imagination trouve ses ressources, n’est-elle pas précisément l’école de la sensibilité ?

Mon père. — Elle est cela et autre chose encore. Tu as raison de dire qu’elle enrichit l’imagination. Cette science, les grands Imaginatifs, les grands observateurs du cœur humain l’ont portée en eux comme un organe nouveau, l’ont pratiquée comme on respire, comme on digère. Elle est à chaque page de Montaigne, présentée sous cette forme bon enfant et morcelée qui seule lui con-