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DE L’IMAGINATION

française illumine notre époque maussade. Les sensations, en traversant cet homme, prenaient une ampleur insolite, La pluie, le vent, la forêt et la mer, ou, par contraste, les grandeurs et les détresses humaines, déferlaient du fond de son cerveau et sur le rocher de la phrase, creusaient amplement des figures. Et toujours cette imagination de grand oiseau nomade fut tournée vers la Mort, son soleil noir ; c’est l’idée de la mort qui le gonfle de mélancolie, et d’un mépris si magnifique que le monde en est obscurci, d’une ironie hautaine et courageuse qui s’attaque jusqu’à l’autre gloire, à l’aigle d’en face : Napoléon.

Mon père. — Ah ! grande imagination bretonne, imagination contraire à ma race, mais que j’admire passionnément : l’océan, le nord et les brumes. Dans la petite maison jaunâtre, l’aube naissante, j’ai bu l’eau-de-vie. Et je m’embarque sur le bateau-pilote qui quitte le port de Quiberon, et l’âme bretonne est autour de moi… (Après une courte réflexion.) Chateaubriand, Lamennais, Renan, les plus beaux révoltés du siècle, les grandes figures taillées dans le granit, que balaie l’embrun de la gloire. Et les dures images qui les hantent ce sont celles de leur vieux pays noir, héroïque, où luttent la mer et l’homme.

Moi. — N’est-ce pas ici que nous devons remarquer, chez ces esprits puissants, l’extraor-