Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
237
DE L’IMAGINATION

même degré que lui, cette plénitude verbale qui satisfait sensuellement l’esprit à la lecture. Mais c’est la Normandie en face de la Bretagne.

Moi. — Combien j’ai senti vivement, un matin, après une nuit fatigante en chemin de fer, cette parenté de Chateaubriand et de sa sublime inspiratrice la Mer ! Je fis le pèlerin au rocher du Grand-Bé. Une pluie fine et pénétrante pulvérisait l’horizon de Saint-Malo. Les mouettes piaulaient dans l’air humide, et le long des faubourgs de la ville, ces faubourgs creux et verts, battaient les tambours de l’école militaire. Je m’assis près de la balustrade qui protège l’auguste sépulture. Le splendide horizon ne m’exaltait certes pas davantage que le nom rongé dans la pierre, mais il me le fit comprendre. Il avait, l’auteur de René, le courageux poète placé à l’entrée du XIXe siècle comme un aigle sur son roc, il avait le rythme du large. Dans chacune de ses phrases, comme dans les gros coquillages de sa chambre d’enfant, est recroquevillé l’espace humide où tournoient les criards goélands. Ce que je vois au-dessus de son œuvre, pesant, impénétrable et sans bornes, c’est le ciel marin, père des brouillards et de la détresse, le ciel hasardeux, mélancolique, que consultent des regards inquiets. C’est ainsi qu’au milieu des lames, dans leur majestueux tumulte et coiffé d’une étendue grise, le phare de la langue