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DE L’IMAGINATION

Moi. — Ô le petit musée de Harlem, en face de l’église, sur la place provinciale ! Autour d’une table, à l’occasion de bombances d’arquebusiers, toutes les formes de la sensualité humaine ont leur type manifeste et hardi. Voici, au paroxysme, l’imagination représentative : les timides, les arrogants, les farouches, et ceux qui se réconcilient et ceux qui se haïssent sourdement.

Tout à côté, les vieilles régentes, aux visages ridés, aux mains tremblantes, signifient la décadence des chairs, l’usure lente, la chute de la vie. L’une d’elles, par exception, a une figure onctueuse et cirée, une véritable patine qui la rapproche de l’ivoire jauni. Plus qu’aucun artiste, Franz Hals a prouvé que l’on pouvait être symbolique par l’exacte représentation du réel.

Mon père. — Je songe à un autre peintre, Espagnol celui-ci, mais d’une extraordinaire sensibilité à la cruauté et à la douleur et d’une imagination obsédante : Goya. Qu’il s’ingénie aux courses de taureaux et remplisse l’ombre de figures, de spectateurs enthousiastes, tandis que l’acteur principal, noir et trapu, la bête s’élance au son des trompettes fatales ; qu’il creuse les Horreurs de la guerre, d’un burin inéluctable et sauvage, les scènes d’Inquisition sanglantes, les bouches de Moines distendues par une sainte férocité ; qu’il se laisse aller aux élégances, aux caprices, aux