Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
252
DE L’IMAGINATION

sourires pervers de petits visages roses, il demeure angoissant et cruel par la force de la réalité, même par celle de la couleur qui parcourt toutes les nuances du sang sec ou fluide, en jet, en nappes, en taches. Il représente une époque barbare.

Moi. — Si nous laissons de côté l’imagination technique des peintres, en tant qu’elle touche au dessin et à la couleur, l’autre partie de leur esprit semble, pour la plupart, assez voisine de l’art dramatique. Mais ce n’est pas, à mon avis, dans leurs tableaux mouvementés et décoratifs que Rembrandt et Velasquez sont le plus géniaux. Ils rendent merveilleusement le perpétuel drame statique de l’existence, celui qui est en un sourire, en une bouche finement plissée, en un geste, ou bien encore en une fenêtre par laquelle on découvre un intérieur, un jardin, une réunion d’hommes, ou en un seul homme, bouffon de cour, philosophe, en une infante, en un cheval. C’est une théorie généralisée parmi les hommes du métier que la peinture ne doit pas exprimer des idées. Il paraîtrait plutôt qu’elle dût les exprimer à sa manière, et l’imagination des grands peintres peut être tout aussi riche et troublante que celle des grands dramaturges. Elle a l’avantage de nous restituer le dramatique ou l’ironique muet, immobile et interstitiel de la vie, ce que le drame