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DE L’IMAGINATION

reproche à ta définition, c’est qu’elle élude la difficulté et qu’elle s’en tire à l’aide de mots.

Voici un exemple, le plus grand, le plus frappant de ce siècle, Napoléon. En voici un autre, Bismarck. En voici un autre, Stanley. Notre époque moderne, à qui l’on reproche l’appauvrissement du sang, me paraît néanmoins privilégiée quant à la genèse des héros, car ces trois-ci sont caractéristiques.

Le plus proche de moi est Napoléon. Sa race méridionale fait que je le classe mieux, que ses formules me touchent davantage, que ses moyens me sont un peu plus clairs.

Il semble que son imagination fut, comme sa volonté, excessive, incessante, je dirai effroyable. Surtout elle fut « tenace » et, malgré sa parole célèbre, elle ne mourut pas toute à Saint-Jean-d’Acre. Ce qui la motivait et la suscitait, ce fut la sensibilité à la gloire et à l’autorité. L’exemple des grands capitaines et des conducteurs de peuples est sans cesse présent à sa pensée. Il les cite, il les invoque, il n’admet point qu’on les discute. Latin il l’est jusqu’à l’os par la rectitude, par la clarté, par le jugement. Il est même des moments où il se montre prud’homme, et, lui l’enthousiaste, timoré devant l’enthousiasme, se méfiant du premier élan. Il est rare que la passion et l’imagination ne soient point connexes et, jusqu’à un cer-