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DE L’IMAGINATION

excitant d’aucun genre. Si le feu leur manque, ils inventent un foyer ; si le pain leur manque, ils se représentent un festin.

Don Quichotte est un admirable livre, parce qu’il est la monographie d’une de ces imaginations basses. Autre exemple : Madame Bovary. C’est pourquoi j’appelle la faculté des images, la faculté qui délivre. De même que les enfants que nous voyons s’amuser seuls, forger des jeux sans le secours de camarades, sont à l’abri de la tristesse et de la mélancolie, de même les malheureux, que la Providence a doués de la baguette magique, supportent aisément leurs fardeaux.

Ces « histoires », ces « légendes » que réclament les petits comme les grands, n’ont qu’un but : suppléer aux imaginations défaillantes ; introduire dans la vie, souvent dure et implacable, une autre vie qui n’est pas elle, où les choses arrivent au bon moment, où les fées vigilantes luttent contre les mauvais génies, où la douleur s’écarte, laissant voir la joie souriante sur son piédestal. L’art, que nous venons de juger à vol d’oiseau, d’après ses qualités intrinsèques, à la façon des mandarins, et non d’après ses résultats, l’art a cette destinée sublime de créer autour et au-dessus des âmes assez d’images consolantes ou divertissantes pour que l’existence ne les écrase pas, soit que ces images deviennent le miroir