Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
278
DE L’IMAGINATION

Elle nous amène à concevoir une éducation secrète de la nature.

Mon père. — Il n’est pas que l’amour pour éveiller les puissances endormies chez l’homme. Tout mouvement violent de la conscience a le même résultat.

Certes, d’un individu très ordinaire, la jalousie peut faire un poète. Ce vice, on le sait depuis Spinoza, favorise spécialement l’imagination. Il suscite, dans les régions les plus brûlantes de l’âme, des tableaux d’une richesse exubérante, le pire supplice, qui se renouvellent, se transforment, ou, gagnant en profondeur, deviennent une obsession véritable.

Mais, en dehors de la jalousie, considérons par exemple l’avarice. Cette passion aiguise à merveille l’esprit de celui qui la porte. Elle le rend sensible à une multitude de petits détails qu’il ne remarquerait pas sans elle. Elle lui fait, quand son sujet l’agite, proférer des mots sublimes, mots de circonstance que nous ne nous étonnons point de trouver dans la bouche du père Grandet et qu’à coup sûr Balzac avait recueillis chez des avares.

Et l’égoïste, dont Georges Meredith a tracé un portrait si admirable, quelle ruse ne déploie-t-il pas, et par quels persévérants circuits ne ramène-t-il point le monde entier à sa propre personne !