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DE L’IMAGINATION

gination ? Nous voyons nous-mêmes combien notre intelligence est bouleversée par les épisodes de notre existence.

C’est ainsi que l’amour est une source d’images très puissante et très mystérieuse. Il transforme le spectacle de la nature comme un poison et il ouvre dans l’âme des régions nouvelles. C’est alors que l’on s’aperçoit à quel point l’on s’ignorait soi-même.

Il est des êtres chez qui l’imagination est pour ainsi dire nulle, ou réduite à son expression la plus simple. Ils se contentent des phénomènes naturels tels que la vie les leur présente, ou, plus exactement, selon cette routine que trace d’eux l’habitude des sens. Jamais ils ne sortent des bornes fixées. Ils considèrent comme des insensés ou des malades quiconque s’élève un peu au-dessus du niveau ordinaire, cherche à interpréter ce qui l’émeut, à agrandir ce qui l’environne.

Eh bien ! ces êtres-là, lorsque l’amour les touche, changent complètement, et leur entourage ne les reconnaît plus. Pour la première fois, à la faveur du sentiment nouveau, s’agitent en eux des forces bizarres qui les inquiètent et les déroutent. Ils entendent chanter les oiseaux. Ils s’aperçoivent qu’il y a des étoiles. C’est l’éducation de Caliban. Rien d’émouvant comme cette métamorphose.