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DE L’IMAGINATION

reflet de la torche des Euménides. Sa torture serait pour lui révélatrice.

Mon père. — Ce miracle est fréquent. Qu’ils soient frustes ou raffinés, la plupart des hommes sont, par la douleur, accouchés des forces qu’ils renferment. Et ce serait un moment capital de notre étude que le rapport de la souffrance avec l’imagination. Celui qui gémit comprend le gémissement des autres. Celui qui porte une plaie s’apitoiera sur la plaie d’autrui. C’est elle, la pitié, la grande intermédiaire. Elle ne pénètre pas seulement les cœurs, elle pénètre aussi les cerveaux ; elle aiguise les nerfs. Pour celui qu’elle a envahi, la nature entr’ouvre ses portes et il croit que subitement le monde lui est révélé, tant il entend de plaintes autour de lui, tant il s’intéresse d’une façon nouvelle et profonde aux arbres, aux animaux, à ses semblables. Les artistes qui sont marqués par la pitié ont là une empreinte toute spéciale qui les distingue profondément des autres.

Chez Dickens et Dostoiewsky, c’est la pitié qui fait l’inspiration. C’est par elle qu’ils se glissent, avec une justesse qui nous épouvante, dans des âmes d’enfants, de débauchés, de martyrisés, de criminels. Si Dante apparaissait à ses contemporains comme revenant des régions infernales, de quelles contrées maudites ne reviennent