Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/295

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
281
DE L’IMAGINATION

pas cet Anglais et ce Russe, avec cette pâleur sur la figure et ce tremblement de leurs mains !

C’est la Pitié qui les a conduits jusqu’à la fosse sombre où grouille la souffrance humaine. Elle a levé la trappe. Ils se sont penchés sans dégoût, et ils ont rapporté à leurs concitoyens des cris nouveaux, de nouveaux sujets d’indignation.

Car à la pitié qui ouvre l’imagination succède la colère qui la fixe et lui donne l’ardeur nécessaire. Les deux sentiments sont connexes.

Moi. — Il y a, dans ces dernières paroles, le germe d’une théorie, qui, je crois, est vraie, quant à l’origine de la satire.

Les satiriques sont des lyriques retournés ; doués de nerfs prodigieusement sensibles et d’une imagination merveilleuse, ils ont été placés par la vie dans des conditions telles que leur orgueil fut brisé, que leur pitié fut désolée, que leur colère fut perpétuellement suscitée par le spectacle de l’oppression et de la douleur en tant que les hommes l’apportent aux hommes. Un sens nouveau leur est né, qui rend l’existence pénible et ne laisse plus de repos : celui de l’injustice. Chez Aristophane, Swift, Fielding, Rabelais, Cervantes, Voltaire, chez tous les grands indignés on retrouve la puissance lyrique, mais déviée, mais transformée par le sentiment de l’iniquité universelle