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DE L’IMAGINATION

du bien et du juste, qui sont souvent les filles de la tyrannie, qu’un jour apporte, que le lendemain détruit, et qui toujours se présentent avec un aspect dur, immuable et sauvage.

Chez ces grands poètes du fait, la pitié et la colère durent être portées au paroxysme par le spectacle de tant d’horreurs auxquelles ils ne pouvaient apporter aucun remède. L’Histoire, c’est le fond de la mer, avec ses courses de voraces, ses embuscades, sa perpétuelle lutte pour la vie, son implacabilité.

Mais il est un autre aspect douloureux de l’histoire, bien propre à frapper des imaginations violentes. C’est son automatisme. Un jour, dans un jardin, en écoutant le chant d’un oiseau, j’eus tout à coup la vision d’une nature réglée dans ses manifestations, d’une nature sans imprévu, sans joie, sans mystère, telle qu’une série de décors d’opéra, qui se succéderaient selon les heures et les saisons, où défileraient, dans leurs costumes habituels et avec des poses convenues, un certain nombre de personnages immuables. L’affreux cauchemar ! La liberté sortant du monde, et y laissant l’automate…, jamais le fatalisme ne m’était apparu si vivant, si terrible.

Or, le spectacle de l’histoire est autrement puissant que le chant d’un oiseau, pour nous faire croire à certaines périodes, à certaines lois, à un