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DE L’IMAGINATION

Alors que la plupart des hommes, endormis dans leur paresse, leur lâcheté, ou simplement leur habitude, supportent, sans se plaindre, le spectacle de l’oppression, ces libérateurs de l’esprit humain, ennemis de tout pouvoir, de toute contrainte, j’allais dire de toute loi, s’obstinent à ne pas voir dans l’homme autre chose qu’un animal qui souffre et qui, lorsqu’il souffre, n’est plus responsable des mouvements de défense.

Par eux, cependant, la littérature sort du mandarinat et de la tour d’ivoire. Elle prend une importance sociale, et nous voyons ainsi que le rôle de l’imagination peut être non seulement libérateur, mais vengeur.

Mon père. — La douloureuse doctrine des fatalistes affirme que l’on ne peut rien à rien. La somme des injustices, malgré tous les efforts, demeurerait la même sur la terre, et les cris de la satire seraient vains.

Le spectacle de l’Histoire nous remplit à coup sûr d’une mélancolie profonde. Pour des hommes tels que Michelet ou Carlyle, elle fut le stimulant de leurs imaginations. Courbés sur elle, comme sur un puits profond, ils entendaient l’immense et lointain tumulte des batailles, ils apercevaient des formes en déroute, des luttes, des métamorphoses ; la vanité des lois les frappait, qui ne peuvent maintenir les hommes dans les limites