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DE L’IMAGINATION

La vie du grand Darwin, notamment, est un exemple perpétuel de sincérité et de bonhomie, et je connais peu d’ouvrages aussi précieux, à notre point de vue, que le récit de la traversée du Beagle, du voyage qu’il fit jeune, alors que se formaient dans son puissant cerveau la plupart de ses idées.

Nous assistons à leur genèse. Son imagination est éveillée par une observation continue, assidue et méticuleuse. Il n’a pas sur les yeux les taies de la routine ni de la convention. Il s’est dépouillé de ce brouillard au milieu duquel l’habitude nous fait voir les objets. Il a gardé intacte la faculté de l’étonnement, don merveilleux de l’enfance, qui nous éduque en peu de temps et nous fait plus acquérir en quelques années que dans tout le reste de notre existence.

En outre, sa bonne foi est absolue. Il s’est débarrassé de la tendance commune, qui est de persister dans une erreur lorsque cette erreur nous est commode et habituelle : « On ne refait pas ses idées à soixante ans. » Triste phrase que j’ai entendu répéter bien souvent et qui chaque fois m’a rempli d’indignation ! On refait ses idées à tout âge. N’est-on pas trop heureux de se débarrasser d’une erreur ? Et, eût-on porté cette erreur pendant de longues années, qu’on ne devrait que la haïr davantage.