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DE L’IMAGINATION

Il se méfie des généralisations hasardeuses et il n’avance qu’à petits pas. Nul pourtant plus que lui ne fut capable de théories vastes, de ces immenses filets où l’on ramasse les faits par brassées et qui émerveillent les ignorants. Il aurait sans doute bien souffert s’il avait assisté aux étranges déformations de sa doctrine, à leurs applications saugrenues au monde social, moral et politique.

L’erreur guette tellement nos esprits ! Lorsqu’elle n’a pu corrompre l’auteur, elle s’attache à ses imitateurs et à ses disciples. Elle est le champignon parasite de tout bel acte d’imagination. Plus une idée est souple, ductile et forte, plus on en tire de conséquences absurdes ou prématurées, de sorte que parfois une vérité succombe sous le poids des sottises qu’elle traîne à sa suite et dont elle n’est point responsable.

Nous avons vu les doctrines de Darwin servir de drapeau politique. L’anticléricalisme a usé d’elles. C’était fatal. On a fait dire au pauvre grand homme bien des choses auxquelles il n’aurait point songé lui, le scrupuleux à outrance, lui qui, à deux heures du matin, après une longue causerie sur le sentiment du sublime, réveillait ses amis pour les prévenir qu’il s’était trompé dans une anecdote !

Moi. — La science avant tout a soif de preuves. Une longue patience lui est nécessaire. Elle met