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VIE ET LITTÉRATURE

avec soin les « dominantes ». Il serait bien surprenant que vous ne remarquiez point, à travers les descriptions les plus riches et les plus nombreuses, deux ou trois tableaux fixes qui reviennent périodiquement, chargés de nouvelles couleurs. Parmi tant de caractères qu’ont créés Balzac, Gœthe ou Dickens ou Tolstoï, il est quelques tournures primordiales, quelques éléments de nature foncière qui sont des centres et des repères. La vie les donna au génie. Le génie les rend à la vie en les ornant de son prestige.

Ainsi en fut-il pour mon père. Je me rappelle son étonnement quand, ayant prié son ami Gustave Toudouze de faire un « selectœ » de ses œuvres, où ne se trouveraient que des exemples d’amour maternel, il constata, le long de ses romans et de ses drames, le retour perpétuel de ce motif de « la mère », laquelle est le summum de la tendresse humaine. La figure de celle qui nous conçoit, nous porte, nous nourrit, nous élève, souffre de nos souffrances, s’illumine de nos joies et se sacrifie incessamment pour nous, cette figure admirable et sans tache l’avait envahi à son insu. Elle était pour lui le plus grand, le plus profond problème du cœur, et ce problème l’avait tourmenté sous toutes ses formes, sans qu’il y prît garde.

Il attachait un prix immense aux émotions qui