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ALPHONSE DAUDET

où le génie tient ses assises, ou bien encore chez les Parrocel en Provence, c’est là que je l’ai vu le plus tumultueux, le plus propagateur d’allégresse. Sa race, son milieu, le contact de ses compatriotes exaltaient en lui ces forces vives, imprévues, étourdissantes. Il imitait la gamme d’accents qui vibre de Valence à Marseille, les altitudes, la gesticulation. Il jouait les deux voix du même narrateur, celle qui s’accorde tous les avantages, conseille, ordonne et définit, celle que l’on prête à la contradiction, qui balbutie, s’effare et se déroute. Il faisait le prudhomme, le « Caton à méplats », porteur de sentence, libidineux et grave, que redoutent les demoiselles dans les procession ; il faisait le tribun, l’échevelé, glissant par véhémence aux plus périlleuses métaphores. Il était le « bon père onctueux », la dévote qui confit dans le confessionnal, le même injuriant un chef de gare, un douanier, un domestique ; l’enfant qui réclame son orange, la foule aux courses de taureaux. À un de nos premiers voyages « là-bas », nous sommes dans une salle d’auberge, par une pluie battante. La présence de ses chers amis Aubanel, Mathieu, Roumanille, Mistral et Félix Gras, l’ivresse de les « montrer » à sa femme, à sa Parisienne, réveillent en lui les souvenirs de sa turbulente jeunesse. La tablée de poètes s’enflamme. Ce sont des chansons de terroir, de vieux