Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/45

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
VIE ET LITTÉRATURE

couverture. Chacun de ces braves gens habite son île étroite, fort zélé pour sa nourriture et la satisfaction de ses instincts. »

Par une terrible ardeur d’été, sur ce même quai de Béthune, nous vîmes un ouvrier, nu jusqu’à la ceinture, riant sous le jet vigoureux dont le douchait un « arroseur ». Ce torse puissant, cette mâle attitude, les reins cambrés, le cou trapu, la tête droite, furent le point de départ d’une improvisation magique. Comme il vanta la robustesse et la simplicité des lignes ! Que de grandes choses il dit sur la sculpture, les muscles au soleil, la sueur et l’eau, les cariatides de Puget, et cette vision antique au détour d’une rue parisienne !

Voici son sourire prompt, délié, j’entends son rire. Car malgré les souffrances il garda sa gaîté, qui profitait du moindre répit, jaillissait spontanément, irrésistiblement de cette nature avide de la nature, apte à saisir les visions ironiques dans le même instant où elle s’attendrissait. Il n’était pas une de ses rares colères que n’eût désarmé un mot drôle. C’était charmant alors de voir comme il quittait son visage sévère, comme il cédait avec délices, heureux de revenir à son habituelle mansuétude.

Près de son ami Frédéric Mistral, qu’il admirait et chérissait, à cette douce table de Maillane