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ALPHONSE DAUDET

Ce fut une sorte de testament patriotique. Il souhaitait que « la défense de Chàteaudun » fût mise en œuvre par un poète et lue, relue dans les humbles écoles.

Sa force de persuasion était telle qu’il me faisait semblable à lui et je l’en voyais heureux. Je pense qu’il aimait ses fils comme aucun, mais il nous eût donnés au drapeau, sans l’ombre d’une hésitation. Je lui reprochais de n’avoir point écrit sur nos désastres l’ouvrage dont lui seul était capable. Il secouait la tête : « On n’élève pas les âmes par un tel récit. Un pays guerrier comme le nôtre a besoin qu’on lui claironne la victoire. »

Chose admirable, cet homme, qui avait fait tout son devoir, se taisait pudiquement là-dessus. Mais la plaie demeurait saignante. Quand Mme Adam venait le voir, la causerie tombait tout naturellement sur la revanche. Ma chère patronne et lui ne désespéraient de rien. Il fut fier d’apprendre que notre armée de première ligne paraissait absolument prête. « Je n’ai jamais douté du bon vouloir. Nos gouvernants sont dans l’erreur quand ils acceptent des humiliations. Après tout… Qui sait… Le grand mystère… Où est le chef ?»

Je peux dire que ses derniers jours furent assombris par l’affaire Dreyfus. « J’ai vu Bazaine », répétait-il avec une angoisse du visage, « j’ai vu le fort Montrouge après la trahison, la