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ALPHONSE DAUDET

livre d’histoire, sans couleurs brutales, sans invectives. La silhouette de Mora est tracée avec discrétion et grandeur. Mon père, représenta toujours l’homme d’État, dans sa grâce élégante et souple, respectant en lui le « connaisseur d’hommes ». « J’étais alors insouciant et fantasque, comme la plupart de mes contemporains. Je n’eus, comme soupçon des choses terribles et sournoises qui se préparaient, qu’un frisson de poète à la première de la Belle Hélène, où les dieux de l’Olympe bafoués, le grincement de l’archet d’Offenbach, me parurent un présage de catastrophe. Quelle catastrophe ? Je l’ignorais. Mais je rentrai chez moi troublé, anxieux, comme au sortir d’une atmosphère malsaine. Quelques mois plus tard, je compris… »

Sur ces temps significatifs, j’ai entendu bien des causeries. Les plus frappantes furent avec Auguste Brachet, l’auteur de l’Italie qu’on voit et l’Italie qu’on ne voit pas, un des hommes pour qui mon père professait l’estime la plus vive : « Si je vois les individus, si je discerne leurs mobiles, lui juge les masses, les nations et les événements avec une sagacité sans exemple. Écoute-le attentivement et profite. Tu as devant toi un des premiers cerveaux d’aujourd’hui ». J’écoutais et je profitais. Cela se passait aux eaux de Lamalou, où Brachet soignait de simples douleurs névral-