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VIE ET LITTÉRATURE

tude : « où se condensent et s’épurent la force de l’observateur, la vision du poète, la justesse de l’écrivain. » Dans sa jeunesse mouvementée, quand il commençait à craindre pour sa santé spirituelle et physique, il fit de véritables retraites. Il allait s’enfermer dans un mas de Camargue, une ferme, jusque dans le phare des Sanguinaires : « Les deux gardiens, forcés de vivre côte à côte, se haïssaient. Un gros Plutarque, marqué par les doigts rudes, formait toute la bibliothèque, ô Shakespeare, emplissait ces imaginations naïves d’un murmure de batailles et d’héroïsme pareil à celui de la mer mugissante. La lueur salutaire de la lanterne tournante attirait le soir d’imprudents oiseaux qui se brisaient le crâne contre l’énorme lentille de verre. De leurs cadavres, on faisait la soupe. Une fois par semaine, si la tempête ne « bouffait » point, la barque au ravitaillement nous apportait des vieilles nouvelles et des provisions fraîches.

« J’ai passé là de belles heures, parfois tristes, lentes, angoissées, mais où je prenais conscience de moi-même, où je me jugeais, où j’écoutais d’autres tourbillons que ceux de la bourrasque.

« Heureux ceux que la nécessité sépare brusquement du gouffre social et qui se trouvent en présence de leur « moi » ! On ne saura jamais ce que l’exil a donné de grandeur à Hugo, à Voltaire. La