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LE MOI ET LE SOI.

de l’introspection, ont quelquefois trait à l’actualité, ou sont en rapport d’association avec elle. Plus souvent ils en sont indépendants, comparables à ces étoiles filantes qui traversent, par les belles nuits, l’étincelant régime des astres fixes. D’où viennent-ils, où vont-ils ? Les lois de leur gravitation n’ont jamais été entrevues. Ils fournissent au poète ses images, ils suggèrent au savant ses découvertes, ils contribuent au dosage de la mélancolie, fille de la réflexion, en mêlant leur joie à la peine, ou, au contraire, leur peine à la joie. J’ai connu un pauvre anesthésique total, qui n’éprouvait plus la joie ni la peine. Il me disait que ses souvenirs étaient dénués de sève, comme des feuilles mortes : « Ils font dans mon esprit un bruissement sec. » Parfois aussi, dans le songe éveillé, deux, trois souvenirs se mêlent, ainsi que dans les rêves, puis s’évanouissent simultanément. Cette complexité prête à l’instant moral une saveur bizarre, que peu d’auteurs, à ma connaissance, ont notée, et comparable à une superposition, dans un breuvage rapidement absorbé, de couches sucrées et de couches amères. Toute fièvre, surtout l’amoureuse, et le risque ou le