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L’HEREDO.

voisinage de la mort rendent cette superposition plus sensible. Outre les souvenirs complets, il y a la poussière de souvenirs, paysages, paroles, atmosphères même, qui courent, s’enchevêtrent, s’interfèrent et nous donnent l’illusion d’une foule intérieure, d’un piétinement d’ombres dans la lumière. Quatre mortels, à ma connaissance, sont parvenus à fixer ces éphémères : Virgile, Dante, Shakespeare et notre Racine.

J’ajouterai, à ce sujet, que la magie du vers, — nombre et rime — favorise ce don rarissime. Le rythme est une clarification du moi. Il met un ordre dans sa confusion. Il change sa cohue en une troupe en marche au pas cadencé. La rime éveille, par le son et l’écho, les génies engourdis dans la grotte de la conscience, prisonniers de l’oubli ou de l’indifférence. La cadence du vers est pareille à celle de l’eau courante, qui réveille les endormis partiels et les somnambules.

J’appelle présences les objets ou les personnes que notre moi perçoit. Ils composent la réalité et ils nous servent de points d’appui, dans l’attention que nous reportons d’eux sur nous.