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L’HEREDO.

plus hauts représentants, comme une vigoureuse élimination des protagonistes psychiques, comme une projection des éléments héréditaires du moi. L’œuvre d’art est souvent un effort personnel de l’individu, en vue de se délivrer de la foule de personnages qui le hantent, empruntés à son ascendance. L’œuvre d’art spontanée et géniale est moins un agglomérat d’observations qu’une émission de ces hôtes intérieurs, reliés les uns aux autres par des circonstances plus ou moins forgées, logiquement déduite de leurs contrastes.

— Comment voulez-vous que j’aie le temps d’observer, mon cher ami ? — disait Balzac à Raymond Brücker. — J’ai à peine celui d’écrire.

Ibsen a spécifié quelque part : « Ecrire, c’est donner la liberté aux démons qui habitent les cellules secrètes de l’esprit. » On connaît le mot de Gœthe : « Poésie, c’est délivrance. » Il n’est peut-être pas un grand individu qui n’ait senti obscurément cette quasi nécessité où il était de purger les formes qui l’obsédaient, formes héritées de ses aïeux ; qui n’ait éprouvé la joie, quelquefois péniblement achetée, de donner issue à ces mannequins,