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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

femme les a revues et corrigées. Elle est bon juge.

— Vous avez de la chance d’avoir, dans votre femme, une collaboratrice.

Il y avait de l’amertume sous cette dernière phrase. Alphonse Daudet reprit :

— Est-ce que la politique et l’atmosphère de la Chambre vous manquent ?

— Pas pour le moment. C’est un changement de perspective, voilà tout. Encore une question. On m’a dit — c’est Geffroy — que vous preniez beaucoup de notes, que vous en aviez des petits cahiers pleins. C’est un point d’appui.

— Oui, parce que, fumant beaucoup la pipe, je ne suis pas toujours sûr de ma mémoire. Je ne puis pas dire, en me frappant le front : « Tout est là.»

Clemenceau ayant fait allusion aux calomnies dont on l’avait récemment abreuvé, son interlocuteur haussa les épaules :

— Les calomnies sont la rançon du succès. Elles mesurent le nombre de vos envieux.

De cette conversation, qui se prolongea sur d’autres sujets, Clemenceau sortit rasséréné. Geffroy avait raison. Il émanait de l’auteur du Nabab quelque chose qui n’appartenait qu’à lui : une conception affectueuse de la vie. Il prétendait n’avoir pas la bosse des idées générales. Mais il pénétrait si loin dans le concret, que celui-ci en devenait étendu et profond comme un frémissement de tout l’être.

Désireux de revoir bientôt Daudet, afin de chasser la mélancolie, il se rendit le dimanche suivant, en compagnie de Geffroy, chez Goncourt, à cette petite réunion hebdomadaire dite du « grenier ».

Il y avait là, outre le maître de maison, droit et