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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

solide, avec ses cheveux blancs, son regard noir et vif, Octave Mirbeau, Huysmans, un journaliste anglais taciturne. Mirbeau regardait un album d’estampes japonaises. Huysmans collé au mur, son grand front plissé, comme chargé de soucis et de dégoût, fumait une cigarette. Mirbeau et lui se détestaient, par dissemblance des tempéraments, comme chien et chat. Le silence et la gêne pesaient, mais disparurent à l’entrée d’Alphonse Daudet. Celui-ci dit à Goncourt : « Bonjour, patron », puis au directeur de la Justice en disponibilité :

— Eh bien, Clemenceau, ça va le bouquin ?

— Comme ci, comme ça. Je crois que je vais me retirer en Vendée, pour y travailler.

— Je vous envie, je voudrais bien aller travailler en Provence. Mais impossible.

— Vous avez Champrosay, dit Goncourt.

— En cette saison il y fait froid, et chauffer cette grande baraque est difficile. Je suis frileux.

— Eh bien, reprit Clemenceau, j’aime assez le frisquet, le vent et la pluie par la campagne, en marchant vite.

— Vous êtes ingambe, je ne le suis pas.

Clemenceau plaisait à Mirbeau, à cause de ses manières brusques et cordiales à la fois. Il déplaisait à Huysmans, qui avait en horreur les hommes politiques, la plupart de ses confrères et les Méridionaux en général. Goncourt surveillait le crâne chauve de l’auteur d’À Vau-l’eau, appuyé à une tapisserie de prix, mais n’osait lui en faire l’observation. La porte s’ouvrit. Forain apparut, petit, vif, avec sa belle tête de camée blagueur, mélangée de Bonaparte à Toulon et de Gavroche. Il était suivi de Maurice Barrès, maigre, jaune, rejetant une mèche noire qui lui mangeait le front. Ce dernier et Cle-