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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

du parti radical, il pourrait employer toutes ses forces intellectuelles et oratoires, toutes ses amitiés politiques, et le fluide qu’il sentait en lui, à la reprise de l’Alsace-Lorraine, soit par les armes, soit par des négociations et grâce à l’appui de l’Angleterre. C’était ce rêve qui lui avait valu le « aoh yes » et l’ignoble dessin du Petit Journal. Mais maintenant il n’était plus question de ces grandes espérances, comme disait Dickens. Ayant changé de milieu et de direction il s’orientait vers une existence de cabinet de travail, de conversation, de lectures, de voyages, plus laborieuse et non moins intéressante que la vie morcelée des assemblées et des fréquentations de couloir.

Il continuait cependant à lire rapidement quelques journaux, pour se tenir au courant des événements, mais ceux-ci lui paraissaient lointains et rabougris, comme vus d’une autre rive. Après une phase d’irritation, il en éprouvait du soulagement. Que de palabres inutiles ! Que de bonshommes falots, peureux et dégoûtants ! Le bon moment était celui où il se mettait à son roman, reprenait son hobereau Puymaufrey, son grand industriel et leur mettait dans la bouche des propos conformes à leurs caractères. Il lui arrivait de se demander s’il n’abusait pas du dialogue, et de déchirer rageusement quelques pages qui lui semblaient mal venues. Comme le théâtre, le roman a besoin de préparation. Ce qui n’est pas amené ne porte pas et les coups de surprise ne donnent pas l’impression de la réalité !

Faire vivant, émouvoir par les moyens les plus simples et les accents les plus vrais. Montrer les duretés, les aspérités, les contrastes des natures dans les familles, dans les efforts en commun et contraires. Là aussi étudier les phases des évolutions