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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

que les faits. Darwin, le grand Darwin, avait conçu la descendance simiesque de l’homme en voyant, du pont de son bateau, les singes jouer sur une plage. « Pour connaître le monde industriel, patrons et ouvriers, si différent de celui des hobereaux, il importe que je me trouve en contact avec les uns et avec les autres. » Il en avait l’occasion avec son ami Paul Ménard, des forgeries d’Unieux, taciturne, mais appliqué, mais attentif et qui travaillait, comme disait Zola, en pleine pâte.

Esprit religieux désaffecté, Clemenceau croyait au dogme du progrès et à la science toujours bienfaisante. La physiologie, la médecine tâtonnaient, mais elles tâtonnaient vers le mieux, et la découverte Broca-Charcot des localisations cérébrales était quelque chose d’essentiel, qui mènerait peut-être à l’origine de la pensée. La formule d’Auguste Comte sur l’humanité, qui vieillissait en apprenant perpétuellement, l’enchantait. Il ne voulait tenir compte ni des régressions, ni des oublis, ni du revers de la médaille, et son esprit critique ne fonctionnait pas vis-à-vis de ses idoles. C’était tout juste s’il ne leur faisait pas, sa prière, ainsi qu’à la grande Révolution. Puis songeant à l’état de trouble et de lutte, où il vivait depuis des années, il savourait le repos et le silence des champs, comme l’homme altéré, sous le ciel torride, savoure une boisson fraîche, en s’efforçant d’y tremper son nez. Il se surprenait à murmurer : « Ah que c’est bon ! » et il trouvait, à distance, son duel avec Déroulède aussi ridicule que l’offensive de celui-ci. Le père Renan avait raison, avec son point de vue de Sirius.

Paysan lui-même, par le sang et par bien des côtés, il regrettait l’état d’ignorance où croupissaient tous ces braves gens, qui croyaient au diable et à