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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

visites dans un endroit qui était son refuge et où il ne voyait et ne recevait que ceux qu’il voulait.

Sa foi dans le darwinisme n’était pas diminuée et il se proposait de l’appliquer à la Société et d’en montrer la constante loi. Alors que Zola pataugeait dans la théorie de l’hérédité, mal débrouillée, avec ses personnages arbitraires des Rougon-Macquart, alors que Daudet se tenait à l’écart de la fresque sociale et se bornait à ses souvenirs de l’Empire ou à des aventures amoureuses individuelles, alors que Flaubert avait refait Don Quichotte avec une femme sensible et rêveuse, Mme Bovary, et ranimé le temps de quarante-huit avec l’Éducation sentimentale, lui, Clemenceau se proposait de mettre en présence le monde de l’industrie, fils de la Révolution et celui de la tradition et de la terre, tels qu’il en avait eu des exemples parmi ses collègues, à l’Assemblée Nationale. C’était déjà un fort poids à soulever et un puissant contraste à mettre debout. À certaines heures, principalement quand le temps était clair et frais, son œuvre future lui apparaissait dans ses lignes principales et il en éprouvait une sorte de bien-être physique. À d’autres heures, les lignes se brouillaient et il interrompait alors son labeur, saisissait un livre de médecine, ou d’histoire, ou de philosophie, pour, disait-il, rentrer dans ses gonds. Il lui arrivait aussi d’apercevoir, en éclair, l’immensité de la tâche de la démocratie : mettre à la refonte la nature humaine à l’aide de lois appropriées, et en tenant compte de cet énorme bouleversement : l’avènement de l’industrie.

Première constatation : les affaires humaines ne se peuvent régler que par les contacts d’homme à homme. C’est très joli les théories, dans le silence du cabinet, mais cela ne mène à rien. Les faits, rien