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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

comme spirituel et brutal, forçaient la note d’une façon comique. Par ailleurs elles s’abstenaient de demandes d’argent qui, pour le moment, l’eussent bien embarrassé. Sa correspondance, toute amicale, avec Mme de Loynes, d’âge canonique, était espacée, mais il avait toujours du plaisir à reconnaître, sur l’enveloppe, sa longue et fine écriture, pareille à une pluie d’automne au bord de la mer, et la devise célèbre : « Je ne crains que ce que j’aime. » De temps en temps, une lettre de fournisseur contenait une facture en souffrance. Il la jetait, après un coup d’œil, au fond d’un tiroir.

Son silence alarmant ses amis (était-il malade ?), il reçut la visite, dans sa solitude, de Paul Ménard,

— Ah, vous tombez bien ! Il me manque, pour mon bouquin, quelques renseignements topiques sur les rapports des patrons et des ouvriers, Vous êtes mieux placé que quiconque pour me les fournir. Mais ce serait assez pressé. Car l’Illustration et Jeanniot me talonnent.

— Rien de plus facile, cher ami. Venez avec moi à Unieux. En deux fois quarante-huit heures, vous en saurez autant que moi. Je vous ménagerai une entrevue avec mes contremaitres, et une autre avec quelques-uns de mes ouvriers.

— Est-ce que vous avez des grèves ?

— Comme tout le monde. En général, elles ne durent pas longtemps.

— En cas de différend, c’est vous qui arbitrez ?

— Parbleu, puisque c’est moi qui paie.

Cette réponse déplut à Clemenceau, comme peu dans le mouvement et peu à gauche. Cependant il fit rapidement sa valise, prévint sa domestique, laquelle avait peur qu’il manquât de chemises blanchies, et prit le train avec son fidèle ami. Celui-ci