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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

lui fournissait, à l’avance, toutes sortes d’explications sur le fonctionnement des services, les assurances, les retenues sur les salaires, la fréquence des accidents et les soins gratuits donnés à leurs victimes.

Député protestant de l’Hérault, Paul Ménard n’avait pas d’embêtements locaux à redouter pour ses élections, qui se passaient loin du siège de ses usines. Son compagnon, qui le croyait un homme de bronze et très ferré dans sa partie, remarqua néanmoins un certain flottement. Il lui en fit la remarque.

— C’est que, cher ami, répondit Paul Ménard de sa voix légèrement enrouée, beaucoup de ces questions, concernant le capital et le travail, sont encore à l’étude et mal réglées. Le monde ouvrier est en perpétuelle fermentation.

— Nous y sommes pour quelque chose, nous les radicaux.

— Mais nous sommes dépassés par les socialistes,

— Ça, c’est la surenchère.

— Un jour viendra où ils nous menaceront et peut-être nous supplanteront-ils.

— Ce jour n’est pas encore arrivé. Vous avez entendu parler de Guesde ?

— Oui, c’est un homme de valeur, mais un terrible théoricien, comme Benoît Malon.

— Oh, celui-là, illisible ! Personnellement, je ne crois au Grand Soir que dans la mesure où le gouverneur militaire de Paris et le préfet de police seront deux imbéciles.

Ils arrivèrent ainsi à Unieux. L’arrivée de Clemenceau avait transpiré sans être annoncée. Les ingénieurs se réjouissaient à l’idée d’être mis en présence de lui. Quant aux ouvriers, ils savaient seulement que c’était un gars à poigne, un beau parleur, et