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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Son passeport était établi sous le nom de « monsieur Arnaud ». Il le commentait ainsi, en souvenir de Gambetta : « Mais je ne suis pas de l’Ariège. » Ce qui le frappa le plus, ce fut l’atmosphère de tristesse morne qui pesait sur la ville jadis joyeuse et il se rappelait la chanson d’avant la défaite.

Strasbourg la bonne garnizune,
Chidibi dibi pune pune,
Bois la bière, mange le jabune,
Chidibi dibi pune pune,
Les dam’ y disent jamais non,
Chidibi dibi pune pune pune pune,
Les p’tites filles sont bons garçunes,
Chidibi dibi pune pune.

Le pire c’était de rencontrer, à chaque tournant de rue, un officier boche en uniforme, son sabre dépassant sa grande capote, avec sa casquette plate et son air arrogant. Ces herren tenaient Le haut du pavé et, du fond de leurs boutiques, les commerçants les regardaient avec un mélange de colère et de crainte. En vingt ans d’occupation les sentiments de l’Alsace n’avaient pas changé d’un iota et cela était une consolation : « Ah ! les cochons, les sales cochons », se répétait Clemenceau, en gagnant le logis de Scheurer-Kestner. Le vieux patriote de Bordeaux, lui non plus n’avait pas varié et la blessure saignait encore. Ils échangèrent leur rage et leur invariable espérance.

— Quand on pense qu’il y a des Français qui croient à la sympathie pour nous du jeune empereur Guillaume II et à la possibilité d’un rapprochement avec ces gens ! Quelles âmes de laquais. Mais ici, à Strasbourg, vous ignorez cette engeance-là.