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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Puis : « Si cette histoire là arrivait à un autre, ce que je le blaguerais ! »

Il avait eu une rentrée inattendue de trois mille francs et courut acheter une belle bague rue de la Paix, de sorte qu’il n’avait plus que l’argent du souper. Assis près d’elle dans la baignoire, tandis qu’on jouait le Chandelier, il mit l’écrin dans sa petite main. Elle rosit de plaisir, enleva son gant, passa la bague à son doigt charmant.

— Cela me fait grand plaisir. Vous êtes un amour.

— Non, un amoureux.

Après le spectacle ils allèrent chez Paillard, où le souper était commandé en cabinet particulier, car l’auteur du Grand Pan ne tenait pas à être reconnu. Ayant enlevé son manteau, Selma montrait un de ces décolletés qui découragent le poëte lyrique. Son bras était si parfait de forme et de douceur que son compagnon y appuya ses lèvres. Elle ne le retira pas et dit seulement : « Cette fois, aux huîtres !… » Alors comme elle en tenait une au bout de la petite fourchette, apparut une langue rose et pointue comme un dard, qui sembla pénétrer le cœur de l’amoureux. Il y eut un silence qui, prolongé, eût été dangereux.

Selma avait une vive amitié pour Clemenceau, qu’elle trouvait courageux, spirituel, pas comme les autres. Mais elle aimait en cachette un jeune officier bavarois et elle se croyait incapable de le tromper. Elle s’entretenait du cas avec sa cousine.

Il m’a donné une bague magnifique. Comment refuser ? Je lui aurais fait de la peine. Après le théâtre, Il m’a menée souper. Puis il m’a raccompagnée place des Vosges. Tout cela respectueusement. J’ai l’air d’une coquette et je ne le suis pas. Je sais qu’il doit venir à Carlsbad avec l’amiral