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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

traître, Esterhazy, que Scheurer-Kestner affirmait être l’auteur du bordereau, serait démasqué. Zola, sachant ce qu’il faisait, dominait ses nerfs et faisait preuve d’un grand calme. Il ne lui déplaisait pas de prendre, devant le grand public, la suite du Voltaire de l’affaire Calas. Il se tournait vers l’un, vers l’autre, répétant : « C’est une queftion de Vustice, hein, mon ami ? hein ? » Car il zézayait, et d’autant plus qu’il était ému. Il brûlait ses vaisseaux et, peu doué d’esprit critique, affirmait une chose dont il n’avait personnellement aucune autre preuve que les affirmations de Scheurer-Kestner, la certitude de Ranc, esprit judicieux mais sujet à erreur, et de Bernard Lazare, champion ethnique. il précédait hardiment Clemenceau, disant « injustice » où celui-ci se bornait, pour l’instant, à dire illégalité[1].

Eugène Carrière, qui avait fait l’affiche de l’Aurore — une femme, la tête levée, regardant le jour qui se lève — arriva en retard « spa essepa », mais on lui remit pour lecture l’article, qui reçut sa pleine approbation.

— À combien tirerez-vous, mon bon ami ? demanda Zola à Vaughan qui réfléchissait, le doigt sur son menton en casse-noix.

— Ma foi, à trois cent mille, sans hésiter.

— Bigre, pensez-vous les écouler ?

— J’en suis certain. Avec Rochefort, je ne me suis jamais trompé de plus de dix mille.

— Vous ferez distribuer par camelots ?

— Bien sûr.

  1. De même, par la suite, Clemenceau reprochait à Malvy d’avoir trahi les intérêts de la Pairie, alors que je lui reprochais carrément d’avoir trahi la Patrie, de connivence avec Almereyda.