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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

venait Zola entouré de Mirbeau, de Fasquelle, du graveur Desmoulin et de quelques autres. L’auteur de J’accuse affrontait, avec un haussement d’épaules, cette colère populaire dont il ne comprenait pas la raison, n’ayant pour l’armée et ses chefs qu’une considération à peu près nulle et n’attachant aucune importance au mot de Patrie. Il avait été fort étonné de l’accueil hostile fait à la Débâcle. Mais le cas curieux était celui de Clemenceau, revanchard à tous crins, obsédé par les questions de Défense nationale et qui se trouvait, en raison de cette histoire, rejeté dans le clan des hommes indifférents ou hostiles aux idées qui lui étaient les plus chères, Cette contradiction était si bien dans sa nature qu’elle l’amena à traiter les généraux de « céphalopodes à plumets », à insulter grossièrement quelques-uns d’entre eux, à renier ainsi, en faveur d’un juif que la suite montra sans intérêt, la partie la plus solide de ses convictions. La collection de ses articles de l’Aurore, qu’il écrivait avec emportement, forma un ensemble de sept volumes dont les titres mêmes sont oubliés depuis longtemps.

L’audience la plus émouvante fut celle où l’avocat de l’Aurore, Albert Clemenceau, harcela de questions l’incontestable crapule qu’était Esterhazy. Celui-ci, pareil à un oiseau charognard, gardait le silence et cette attitude, à elle seule, eût dû ouvrir les yeux de ceux qui voulaient voir en lui un martyr des juifs. Chose remarquable et qu’a notée Bainville, il ne parut pas au procès de Rennes et ne fut pas confronté avec Dreyfus, alors que toutes les circonstances de la cause imposaient cette confrontation ; et Me Demange, avocat de Dreyfus, ne la réclama pas. Des deux côtés de la barre, on semblait la redouter.