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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

croisaient dans la rue, reconnaissable sous son chapeau haut de forme, dans son paletot de montagnac. Beaucoup l’accusaient d’être vendu aux Juifs, ce qui était aussi ridicule que de prétendre que Clemenceau était vendu aux Anglais. Mais, depuis l’Assommoir et Nana, il avait l’habitude d’être engueulé et ces inventions ne le troublaient guère. Toutefois, n’étant pas éloquent, il redoutait l’épreuve des audiences de la Cour d’Assises et fut heureux d’avoir près de lui le tonitruant et sympathique Labori, secondé par le froid et précis Albert Clemenceau, « le gosse », comme l’appelait son frère.

Les conseils, comme les faux tuyaux, en vue de ce procès à tout casser, ne manquèrent ni à Zola, ni à Clemenceau. C’était à qui chapitrerait le premier, alors que le second, ayant l’habitude, envoyait alertement coucher tout le monde.

— Le président est mal disposé. Il a un frère jésuite.

— Le jury sera truqué. Méfiez-vous.

— Esterhazy est violent et exaspéré. Il serait très capable de vous tirer dessus.

Clemenceau n’était que témoin. Mais son témoignage était attendu avec curiosité. Comme le président lui parlait de la chose jugée, il montra le Crucifié pendu dans le prétoire : « La voilà bien la chose jugée ! » Le mot fit passer un frisson.

La sortie de Zola après l’audience donnait chaque jour lieu à des scènes tumultueuses, à des cris de « à bas, à mort », poussés par des patriotes exaspérés, à des bousculades dangereuses, que la police avait de la peine à refouler. Clemenceau, qui avait l’habitude des foules hostiles, ouvrait la marche ; puis