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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

fut, comme celui avec Déroulède, sans résultat. De tout temps Drumont avait détesté Clemenceau, en raison de son anticléricalisme, et la réciproque était vraie, Après l’apparition de la Fin d’un Monde de Drumont, où Clemenceau écopait d’une page d’invectives, Gustave Geffroy se trouvait, à Champrosay, chez Alphonse Daudet, assis à table, en face de l’auteur de la France juive.

— Bonjour, Geffroy, dit Drumont.

Puis, son vis-à-vis se taisant, il reprit :

— Geffroy, je vous dis bonjour.

— Et moi, repartit Geffroy, je ne vous dis pas bonjour, Drumont, après ce que vous avez écrit sur Clemenceau.

En sortant de table Drumont dit à quelqu’un, l’œil étincelant sous ses lunettes : « C’est très chic ce qu’il a fait là, Geffroy. » Car il aimait le courage, même chez ses adversaires.

Après Scheurer-Kestner, Ranc et Picquart, Mathieu Dreyfus, frère du condamné, avait fait une forte impression sur Clemenceau. Ayant au plus haut point l’esprit de famille, fidèle sans fêlure aux idées que lui avait inculquées son père, le polémiste de l’Aurore fut ému de voir un frère se jeter ainsi à l’eau — une eau saumâtre — pour sauver l’honneur de la tribu. On accusait les Juifs de ne voir avant tout que l’argent, de mettre la question pécuniaire avant tout, Il n’en était pas ainsi pour Mathieu Dreyfus qui, le plus simplement du monde, sacrifiait sa tranquillité, son commerce, sa fortune, pour arracher son cadet à l’île du Diable. Voilà ce qui touchait Clemenceau, ce qui mettait en mouvement son étonnante émotivité. Pendant trois ans cette émotivité fut, tout entière et à toute heure du jour, au service de cette idée : « Une injustice a été