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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/192

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

CHAPITRE IX

L’Homme enchaîné et déchaîné


La guerre ne pouvait surprendre Clemenceau. Il la pressentait depuis de longues années, s’étant fait, des insatiables ambitions allemandes, une image nette et vraie. Les tractations obscures et même ténébreuses de Caillaux l’avaient révolté. Mais ce qu’il n’avait pas voulu voir, et ce qui lui apparut brusquement, c’était l’extraordinaire médiocrité du personnel républicain parlementaire, l’égarement des uns, la paresse des autres, l’ignorance crasse où se complaisait celui-ci, la substance absurde de celui-là. Il avait cru que Poincaré avait « un bout de caractère ». Le malheureux n’en avait pas l’ombre et voyait tout sous l’aspect juridique : « A-t-on le droit, n’est-ce pas, le droit ? » La science militaire, sur quoi tout repose, apparaissait, à ce fantoche, un code sous le bras, comme un domaine réservé dans lequel, même en temps de guerre, le pouvoir civil n’avait pas à intervenir. Poincaré avait une peur bleue de Caillaux. Lors du récent voyage des souverains anglais en France, ses étonnantes mésaventures matrimoniales, mal calfatées par un prélat complaisant, avaient été colportées et interprétées, et lui avaient valu d’amers soucis,