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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/193

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

ainsi que des scènes de ménage. Il avait aussi une frousse intense de Malvy, égale à la frousse qu’il avait de Clemenceau et il confiait à ses intimes qu’il aurait voulu pouvoir se débarrasser de tous les deux, car il les mettait dans le même sac. À chacun de ses visiteurs le « grand lorrain » se retranchait derrière la Constitution, qui lui interdisait de prendre la moindre responsabilité. « Quelle chiffe, quelle loque », criait le Vieux dans les bureaux de son journal. Il aurait désiré une entrevue pour lui remonter le moral, mais Poincaré avait toujours un bon prétexte pour ne pas le recevoir et s’en tirait, selon son habitude, avec des lettres évasives de quatre ou six pages. Ce président, qui ne présidait rien, savait mieux que personne que son président du Conseil Viviani, avec lequel il revenait de Russie quand éclata l’orage, était un pauvre maboul, incapable de prendre une détermination qui ne fut pas aberrante. Cependant, il le gardait par crainte d’une algarade et de commentaires malveillants. L’institution de la censure fut, pour Poincaré, un immense soulagement. Cette censure, qui devait être d’abord limitée aux questions diplomatiques et militaires, où elle était en effet indispensable, devint un paravent universel, derrière lequel l’incapacité, la gabegie, le laissez-aller purent se donner libre carrière. Chaque jour un nouveau scandale était rapporté au président de la Commission de l’Armée et sénateur Clemenceau, qui, s’il en rendait compte, même par allusion, dans son journal, était aussitôt caviardé et blanchi sans miséricorde. Il en résultait chaque nuit, chez ie Vieux, un accès de colère qu’il apaisait en mangeant un morceau, dans son petit appartement de la rue Franklin.