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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

lances de l’administration, il se rendait fréquemment au front comme président de la Commission de l’armée, vérifier, de visu, l’état matériel et moral, des combattants, écoutait les doléances, ranimait les courages, en un mot payait de sa personne. C’est là que naquit pour iui une popularité qui devait, le moment venu, le porter au pouvoir, malgré l’hostilité de l’Élysée et l’opposition des salonnards, au premier rang desquels le comte Greffulhe, admirateur de Guillaume II, et la comtesse, admiratrice de Briand. Quelques-uns des dits salonnards, et non des moindres, avaient des liens de parenté avec des officiers allemands en activité, d’autres avec de hauts personnages de la finance et de l’administration allemandes. Clemenceau était au courant de ces faits, mais il n’y attachait pas l’importance qu’il aurait fallu et il ne fut pas tenu au courant de l’affaire révélatrice des Réformes frauduleuses (affaire Lombard), à laquelle était mêlé le Bonnet Rouge. Bien rédigé, son Homme enchaîné était assez mal renseigné, faute d’argent.

C’est vers le temps de Verdun qu’il entra en état de transe ou état second, où il devait demeurer, avec des hauts et des bas, jusque vers la fin de la guerre. Le contraste des mesquineries et ignominies de l’intérieur, auxquelles il assistait de son poste sénatorial, et des durs spectacles, mais francs, mais héroïques, qui l’accueillaient au front, produisit en lui un bouleversement comparable au chemin de Damas. Il eut la révélation de l’âme française par la révélation de son âme propre. Admettant partout la mort des autres, et des plus jeunes et dévoués, et des meilleurs, les Caillaux, les Briand, les Poincaré, les Hanotaux, les Barthou,