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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

les hommes en vue de la politique, s’étant créé une sorte de carapace professionnelle, demeurèrent — la première alerte passée, et quand la première victoire de la Marne les eut personnellement rassurés — dans leur médiocrité naturelle et leurs viles préoccupations courantes. Le jeu de la clientèle, des recommandations, des embuscades, des relations sociales et mondaines, des ménagements, des irresponsabilités, des échanges, des foutaises continua sur un nouveau plan. Ils demeurèrent dans la tourmente ce qu’ils étaient avant elle les académiques restant académiques, les grincheux restant grincheux, surpris et même stupéfaits du non triomphe immédiat et sans coup férir, des Allemands, alors que tout le faisait prévoir. Secrétaire de Galliéni, Gheusi a conté, dans une note des célèbres Carnets, comment il téléphona à Bordeaux, le 12 septembre 1914, pour annoncer la victoire, et comment il entendit, au bout du fil les exclamations de stupeur : « Allons donc ! pas possible !… est-ce bien vrai ? Mais c’est incroyable, c’est fou ! » Telle fut la réaction de ces poux, de ces blattes et de ces morpions. Telle ne fut pas celle de Clemenceau, inondé, à cette nouvelle, d’une joie immense et chez qui reparurent, d’un seul coup, l’homme de jadis, l’homme de 70, avec ses angoisses, son désespoir, le souvenir de Scheurer-Kestner, l’homme de la Revanche, l’homme de Boulanger, le patriote à tous crins, puis le calomnié, le vilipendé, l’exilé moral, puis le combattant à l’envers, le dreyfusard, l’ami de Picquart et son protecteur. Avalanche intime en un seul de personnalités, bousculées, irritées, déçues, mêlées à une foule d’événements et de drames privés et publics ; mais dont la direction générale n’avait en somme