Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
201
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

à celui qui écrit ceci, au suivant dîner des Goncourt, de le raccompagner chez lui. La nuit était douce. Ils pénétrèrent dans le petit jardin, précédant la manufacture, puis dans l’appartement privé, et traversèrent sur la pointe des pieds, la chambre où dormait la vieille maman de M. l’Administrateur. Son interlocuteur remit à Gustave Geffroy tous les renseignements qu’il possédait sur cette grave affaire dont il avait entretenu, peu auparavant, le ministre des Colonies Maginot.

— C’est un brave type, ce grand Maginot. Qu’a-t-l répondu ?…

— Qu’il en référerait à ses collègues.

— Parbleu ! Mais Ribot s’est tu.

Le 22 juillet 1917, ayant pris connaissance du rapport de Pétain, Clemenceau montait à la tribune du Sénat, après un vasouillage quelconque de Painlevé, et entrait dans le vif du sujet le plus dramatique qui fût : l’antinomie entre la situation critique de la nation, assiégée par le défaitisme, et la mollesse, pour ne pas dire l’abandon, des pouvoirs publics. C’était le ministre de l’Intérieur Malvy, maintenu depuis le début de la guerre, et de façon incompréhensible, au ministère de l’Intérieur, qui allait être mis en cause, et comment ! Le vieux tribun, transporté hors de lui-même, dans une région supérieure de la sensibilité nationale, était en possession de tous ses moyens, massif, les deux mains appuyées à la tribune, comme prêt à bondir. Ses regards, sous les épais sourcils, étincelaient et sa voix avait des profondeurs presque surnaturelles.

Il commença par raconter la visite que lui avait faite récemment un soldat du front, un vrai, couvert de la boue des tranchées et se plaignant des