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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

politiciens, qui autorisaient, qui laissaient passer la trahison. Il était, à l’entendre, ce soldat, la voix de ses camarades qui, sur toute la ligne de feu, craignaient d’être poignardés dans le dos. Cet exorde fit passer un frisson. Puis, avec son éloquence âpre, claire, sourde, assénée, il s’en prit au défaitisme, aux campagnes d’une presse immonde et il nomma Almereyda, le Bonnet Rouge, les permis de séjour, la protection accordée à des suspects et arriva ainsi au ministère de l’Intérieur, à Malvy. Ce dernier n’en menait pas large, tournant sa face d’hyène en état de demi-rictus dans la direction de l’orateur, sans toutefois le regarder. Le tigre jouait avec ce putois hyéniforme, lui assénant des précisions qui, sans rétrécir le débat, lui donnaient plus de mordant. Clemenceau, pour mieux tenir son public, ne donna au Sénat que la moitié des renseignements que lui avait communiqués Geffroy, et, comme au temps de Zola, et à l’inverse de Zola, reprocha, au lieu d’accuser. Une certaine modération apparaissait ainsi, aux heures graves, dans sa nature, tempérant la vivacité de ses boutades. De sorte que le calculateur pouvait, en ces circonstances, brider l’impulsif.

Il n’ignorait pas que le maintien de Malvy au ministère de l’Intérieur, depuis la mobilisation, tenait à la caution de Poincaré, lequel redoutait les dossiers et indications de la Sûreté Générale. D’où le mot qui avait couru les couloirs de la Chambre : « Il y a le carnet B (des suspects), mais il y a aussi le carnet P (Poincaré). » Il savait, par Capus, présent au spectacle, qu’un journaliste, ami de Caillaux, avait, le 1er août 1914, présenté à Poincaré, dans les salons de l’Elysée, « M. Alimnereyda, directeur du Bonnet Rouge ». D’où cordiale