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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

et rata l’affaire de Verdun. Il fit tuer pour rien — vu l’initiative de Mangin, reprenant le fort de Douaumont, qui avait coûté de tels sacrifices, en octobre 1916 — un peu plus de trois cent mille Allemands. Comme disait Mangin : « Quel chic type ! »

À Paris, tout le monde se frottait les mains : « Clemenceau est là, ça va bien ! » On n’en demandait pas davantage. Quiconque, à ce moment-là, eût dit du mal de Clemenceau, à Paris, dans la rue, ou même soulevé une simple critique, se serait fait écharper. Il en était de même aux armées.

L’heure à laquelle il avait été mandé à l’Élysée, par un jour bas et sombre de novembre, devait demeurer, pour le vieux lutteur, la plus belle de son existence. Il s’était fait son plan d’avance. Il avait choisi ses collaborateurs immédiats, Mandel, subtil et renseigné, qu’il connaissait de longue date ; Tardieu le savant, le fort en thème, et Ignace, l’avocat passionné qui passait pour le fils naturel de Lockroy. Il était sûr de vaincre, intimement sûr, alors que, du haut en bas, la situation ne pouvait pas être plus mauvaise.

Elle était mauvaise à l’avant, où, en dépit des efforts de Pétain, les feuilles défaitistes, venues de l’intérieur, avaient jeté le découragement, où le sacrifice de Mangin, d’ordre du grand salon pro-allemand de Paris — celui des Greffülhe — avait soulevé de violentes colères, où l’indécision, le flottement politique avaient gagné le commandement. Elle était pire à l’intérieur, où l’incapacité de Painlevé, sa soumission à Caillaux, l’affaire Malvy, l’affaire Almereyda, vingt histoires d’espionnage et de trahison avaient soulevé la réprobation générale. L’impression universelle était que