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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

avec toute sa force d’attention, Proudhon a écrit que le génie, c’était l’attention

Jules Delahaye allait souvent, vers la fin de la journée, rendre visite, pendant dix minutes, à son ancien adversaire rue Saint-Dominique. Comme nous sortions de l’Action française, alors installée rue de Rome, je l’attendais dans la voiture. Il me revenait émerveillé de la somme de travail, constructif et positif, assumée par ce vieux géant de la contradiction et de la démolition. Avec cela Clemenceau gardait sa bonne humeur, son esprit de boutade et même de taquinerie. Pas un moment il ne se trouva inférieur aux terribles circonstances qui le pressaient. Tout en pestant contre les lenteurs, l’incompréhension, l’incompétence du système parlementaire, il s’y tenait comme à une vieille servante qu’on n’a pas le courage de renvoyer. Mais il ne se gênait pas pour les qualifier selon leurs mérites. Deux spécialement exerçaient sa verve incomparable : Poincaré et Briand. Le premier était « le graphomane », Le second « le voyou de passage »… « Quelle n’est pas ma situation, s’écriait-il, entre Briand, qui se croit Jésus-Christ et Poincaré qui se croit Napoléon ! »

Plus tard, quand il apprit, par le papa Ribot — « le saule pleureur » — les transactions secrètes de Briand, de Lancken, de Mme de Mérode, et du baron Coppée — il entra dans une violente colère et parla d’envoyer le maquereaut bénit en Haute-Cour. — « À quoi bon vous fâcher et dire cela, s’écriait Ignace, étirant ses longues jambes, vous ne le ferez pas. » Ces propos étaient rapportés à l’impressionnable Aristide, qui n’était pas plus tranquille que ça et ronchonnait : « C’est une plaisanterie. Je n’aurais jamais abandonné l’Alsace--