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Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/24

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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Unieux. Vous avez votre voiture, Challemel ?

— Certainement, cher ami, et je vais déposer Lockroy avenue d’Eylau, où sont déjà rentrés Mme Lockroy, le Vieux et les enfants. Bonsoir.

Quand il fut parti, d’un pas encore assuré :

— Nous n’avons pas, de notre bord, beaucoup d’hommes de cette valeur, dit Lockroy.

Il compta sur ses doigts :

— Lui, Scheurer-Kestner, l’Alsacien solide au poste, Targé et c’est tout.

— Puis, ajouta Clemenceau, dans un autre genre, Berthelot et Renan. Il faudrait utiliser Berthelot, plus mobile et moins sédentaire que son ami Renan.

— L’utiliser à quoi ?

— Bon pour un portefeuille. Nous sommes, ne l’oublions pas, le régime de la science et du progrès.

— Écoutez, dit Lockroy en riant. J’étais le secrétaire de Renan en Syrie. Il y avait là Mme Renan, la sœur du grand homme, Henriette, le grand homme et moi. Jeunes mariés, M. et Mme Renan couchaient amoureusement dans un lit à clochettes. Quand celles-ci tintaient, la jalouse Henriette accourait avec un gilet de flanelle : « Ernest, tu vas te refroidir. Mets tout de suite ta flanelle. » Oh ! les sœurs, c’est terrible !

Clemenceau, que Mme Brindza ne gênait guère, avait décidé de rentrer chez lui à pied. La marche lui ouvrait les idées et celles-ci parcouraient son alerte imagination d’orateur, avec la rapidité de l’éclair, entremêlées de souvenirs de ses parents et de la Vendée, car il était naturellement émotif, bien que marqué de rudesse, de sarcasme et d’indifférence. Le besoin de la Revanche, cela n’était pas un mot, certes. À Bordeaux, Scheurer-Kestner