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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

plis « par ceux qui ont des droite sur nous » ?

Or, voici venir le clairon de l’armistice. L’Allemagne décidément est à bout, Elle oscille, comme le taureau estoqué à fond dans l’arène ; ses yeux se troublent, le sang coule à flots de son gosier béant ; dans quelques instants elle va s’abattre et la pensée du Père la Victoire retourne à un an en arrière, quand le petit nain juridique de l’Élysée, contraint par la volonté nationale, lui demanda de former la Cabinet. Comment, à son âge, avait-il eu le courage d’accepter, de ramasser, avec quelques bons collaborateurs, cette cause pathétique et qui semblait perdue ?

Soixante-dix, soixante-dix ! Réveillé en sursaut par ce souvenir, il se rappelait où il était : dans son petit logis de la rue Franklin, et un coup de téléphone lui avait fait espérer que la grande nouvelle de la signature de l’armistice lui parviendrait dans la matinée. Ce Foch, quoique élève des Jésuites, était tout de même un fameux bougre, avec sa confiance, son entêtement. Clemenceau le revoyait à Doullens, marchant de long en large, agitant les bras, affirmant sa foi dans l’attaque, dans le retournement de la situation, dans le succès final, Quels regards ! Quelle concentration de la volonté ! Quelle assurance ! Et comme Pétain, lui aussi, avait été beau d’abnégation ! Décidément, aux militaires c’était l’éclairage de la guerre qu’il fallait, Le temps de paix ne leur valait rien,

Soixante-dix, soixante-dix ! On pouvait croire alors tout perdu, et que la France ne s’en relèverait pas, Ah, le désespoir de Scheurer-Kestner !

Soixante-dix, soixante-dix ! Ces foules criardes et sanguinaires ! Pareils à des bêtes féroces, ceux qui avaient léché, flairé le sang en voulaient encore et