Page:Léon Daudet – La vie orageuse de Clemenceau.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
261
LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

efforts pour que la libération de la France soit, avec l’aide des peuples frères, un bon outil de libération pour l’humanité. (Applaudissements unanimes et prolongés.)

Comme on le voit, par ces phrases d’ailleurs bien tournées, — mais qui n’ont plus le son plein de la bataille, — Clemenceau rentre, pour une part, dans la chimère romantique du « bien-liberté » domptant le « mal-servitude » et de l’Humanité en marche vers le progrès indéfini, grâce au sacrifice de deux générations.

À ce moment-là, et saignant encore de tant de spectacles effroyables — auxquels il a pris, exposant mille fois sa vie, la part la plus active — Clemenceau, par un suprême et touchant effort, revient à la foi de sa jeunesse dans la triple devise paternelle et révolutionnaire, « liberté, égalité, fraternité ». Il entrevoit, avec un amer soulagement, la rencontre de ces chimères avec la réalité et la déesse aux fins pieds nus, la Victoire républicaine, marchant en tête des dix-sept cent mille morts, son drapeau tricolore à la main. C’est l’euphorie qui agit, lui montrant, chaque nuit, en rêve, au milieu de son sommeil incomplet, son père et sa mère, fiers de lui et le bénissant. De toutes parts lui parviennent les félicitations de l’univers, les acclamations délirantes, les assurances d’une reconnaissance éternelle. L’ironie de Lloyd George a cessé. Le colonel House l’assure de la fraternelle affection de Wilson. L’aigreur du lièvre Poincaré semble légèrement assoupie, et le Père la Victoire considère chaque soir, avec attendrissement, le petit bouquet de fleurs sèches, offert « par des hommes qui allaient mourir ». Mais comment reconnaître tant de sacrifices accom-