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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

mon chéri, e’est pour cela que ton papa est mort. » Les petits regardaient gravement, sans comprendre, et chaque Alsacienne, en costume, était l’objet d’une ovation. On se montrait, proche de l’Arc de Triomphe, un grand hôtel, encore orné d’aigles à son faîte, où, disait-on, Guillaume II avait projeté de retenir son dîner, le jour de son entrée dans « sa bonne ville de Paris ». Je vous promets que le bougre avait mauvaise presse. On jurait dans la foule qu’il serait pendu et que Lloyd George l’avait promis. Mais, comme disait Capus, « Lloyd George a annoncé tant de choses ! » Les alignements de canons pris à l’ennemi portaient tous le titre d’origine de la 5e armée (général Mangin). Après Clemenceau et Foch, c’était Mangin qui détenait la plus belle légende de la guerre. Il était, non plus « le boucher », mais le « sauveur », et son offensive de Château-Thierry tournait à l’épopée.

Le Père la Victoire se tenait en bas de l’avenue, près de la rue Saint-Florentin, dans un baraquement de bois à un étage, construit spécialement. Autour de hui, ce fut, pendant des heures et des heures, une fureur d’enthousiasme dent on n’a aucune idée. Nous craignions, à un moment, que l’estrade ne fût emportée, et nous demandâmes aux Camelots du Roi, inquiets eux aussi, de faire des barrages autour du vainqueur, J’ai vu bien des manifestations parisiennes, dans ce même endroit, avant et depuis la guerre, rien de semblable. Le 6 février 1934, alors qu’une foule furieuse battait les murs du Palais-Bourbon sur les deux rives de la Seine, avant d’être mitraillée, je me rappelais cette immense ferveur et aussi le mot de Clemenceau : « Tant qu’il n’y aura pas eu de cadavres de patriotes, sur la place de la Concorde. » Or, ces cadavres y