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LA VIE ORAGEUSE DE CLEMENCEAU

Mais la dépense de forces intellectuelles et morales qu’il avait dû déployer pendant un an, nuit et jour, sans une minute de rémission, l’avait forcément rendu moins apte aux luttes et controverses difficiles du traité de paix. Guéri de son idéologie humanitariste-révolutionnaire dans le domaine de l’action, il allait se trouver en présence d’un Wilson qui, au même moment, entrait à pleines voiles, dans l’illusion de la paix éternelle par la Société des Nations, illusion à laquelle Léon Bourgeois avait déjà frayé le chemin chez nous. S’il n’y avait pas eu entre eux le bon et subtil colonel House, une rupture vive aurait eu lieu, la causticité de Clemenceau faisant à l’américain environné de nuées, l’effet d’autant de piqûres de guêpes, je dis de guêpes, parce que privées de miel compensateur à un moment donné, Wilson donna l’ordre d’appareiller un navire pour son brusque départ. Mal renseigné par ailleurs, le monde politique français croyait à une omnipotence du président américain dans son propre pays, qui n’existait pas, ou qui n’existait plus. Le sursaut, provoqué par le torpillage du Lusitania, était retombé. L’Amérique du Nord est un pays d’humeurs aussi variables que la France et dont la courbe en hachures nous est totalement inconnue, Elle aime à changer de décor et de machinistes encore plus que nous,

Quant à Lloyd George, qui paraît, d’après ses jugements, avoir bien connu Clemenceau, il répondit à un reproche de celui-ci concernant la tendance pro-allemande de sa personne et de son pays, depuis la victoire : « N’est-ce pas la politique traditionnelle de l’Angleterre ? » Il devait trouver en Briand, le « fin gallois », un partenaire d’humeur plus accommodante.